Une mémoire d’éléphant peut aussi nous tromper énormément !

Il y a deux semaines, sur une certaine chaîne de télévision, deux invités dont un célèbre docteur télévisuel et un non moins célèbre mentaliste ont commis un gros bouquin sur la mémoire. Bien sûr, ce livre est très bien documenté…Mais, j’ai tout de même souri lorsque l’un d’entre eux (ou l’animateur ?) a vivement conseillé aux bacheliers de l’acheter pour l’ensemble des trucs et astuces à utiliser pour mémoriser aux mieux ses fiches de révision. Il me semble que se coltiner un livre de méthodologie sur la mémorisation était un peu tardif à une semaine des épreuves écrites et orales des Bacs.
Mais, butiner quelques outils de dernières minutes, pourquoi pas ?
D’ailleurs, le Doc a émis quelque chose d’intéressant : le fait que nous n’avions pas une mémoire mais DES mémoires. Par là, je pense qu’il faisait référence aux « intelligences multiples » de Howard Gardner, que j’ai déjà évoquées dans un article précédent. C’est pour vous dire que j’étais tout à fait d’accord avec cette affirmation qui est une évidence pour moi, aujourd’hui.

La théorie de Gardner, qu’est-ce c’est ?

Un petit schéma pour synthétiser ces 8 « intelligences » :

Sources : H. Gardner « les Intelligences multiples » (1996)
La théorie de Gardner définit l’intelligence, au sens large, comme « une [capacité] à résoudre des problèmes, [à] trouver la réponse à des questions précises, et [à] apprendre vite et bien de nouveaux sujets ».
La nouveauté, c’est qu’il dit qu’il n’y a pas UNE intelligence mais DES intelligences.

J’ai découvert cette théorie lors d’une conférence il y a quelques années quand j’étais encore prof. Je me souviens d’avoir ressenti un énorme enthousiasme et d’avoir eu une révélation ! J’allais pouvoir répondre à mes élèves qu’il n’y a pas une intelligence mais un bouquet de HUIT. Ce qui fait que nous ne pouvons pas nous dire « stupide » mais que nous avons un déficit de développement de l’une ou plusieurs d’entre elles par…absence d’intérêt !!
Travaillant dans un lycée professionnel, cette théorie et les outils autour m’ont souvent été utiles. Je faisais passer un test en début d’année grâce auquel je constatais que selon le domaine professionnel les Jeunes avaient à peu près développé les mêmes caractéristiques. Par exemple, les classes de Vente et Commerce étaient souvent « interpersonnelles » et les systèmes numériques plutôt « scientifiques ». Il y a aussi des récurrences par rapport aux groupes sociaux. Je remarque que les gens de ma génération sont plutôt « visuels » (génération télévision) et que les Jeunes sont en grande majorité auditifs (génération écouteurs) … Tout cela est un constat empirique, j’en ai bien conscience. Et des neurologues peuvent critiquer ma démarche… N’empêche !
Je trouve ce concept très rassurant et motivant !! Encore plus, lorsque je mets en évidence auprès des familles et de leur jeune qu’il n’y a pas une ou trois méthodes de mémorisation – relire/ refaire et écrire- mais DES méthodes adaptables en fonction des profils de chacun. Il y a un menu à la carte et les menus « Liberté », si j’ose dire !

Une théorie contre les schémas sociétaux ?

Quand les familles viennent dans mon bureau et que je dois expliquer ce que sont les intelligences multiples, j’ai l’habitude de dire que ce qu’elles voient autour d’elles, la décoration, l’agencement de l’espace et la présence d’objets sont le reflet de mon cerveau. Effectivement, l’une de mes dominantes est « naturaliste ». J’apprécie donc la présence de la nature autour de moi. Couleur verte, papier peint représentant une forêt, plantes et fleurs fraîches me sont nécessaires pour me concentrer et travailler sereinement. Je suis également verbo-linguistique d’où le choix de mes professions présente et passée et de ma passion pour la lecture et les jeux de lettres.
Il y a un espace de travail dans un recoin (intrapersonnelle) et un espace d’accueil et d’entretien beaucoup plus large (interpersonnelle). La décoration est colorée (visuelle) et les crayons et autres matériels de découpage et coloriage que j’utilise le plus souvent possible, sont mon côté kinesthésique. Un fond sonore m’aide à me concentrer quand j’écris un article pour mon blog (par exemple). Enfin, j’ai installé des applications « scientifiques » adaptées sur mon ordinateur et mon portable pour me soutenir dans cette mineure. « Adaptées » signifie que ces applications sont assez ludiques pour éveiller l’intérêt de mon côté « enfant » pour les matières scientifiques ; dont les mathématiques…qui ne sont pas mes amis ! Au grand désespoir de mes parents.
Mes notes catastrophiques ont été enchaînées à la phrase « Mais que vas-tu bien pouvoir faire ?! », sous -entendu :« Elle ne sera pas + métiers à haute valeur ajoutée = échec de sa vie !! ».
Pour rappel : La société française des années 80 et suivantes a élevé au rang de facteur de réussite scolaire le fait d’être bon en mathématiques. Sans elles, point de salut !!
Je dois préciser que je n’ai jamais passé de tests chez un neuropsychologue pour savoir si j’étais dyscalculique. Cela existait peut-être mais ce n’était pas l’habitude ou le réflexe à cette époque. Le fait de savoir qu’il y a cette particularité aujourd’hui rassure tout de même beaucoup de parents et d’enfants ; n’est-ce pas ?
« Ouf ! Mon enfant n’est pas stupide !! »

De mon temps (oui ! Je sais ! Je ne fais pas mon âge !), mes parents utilisaient le ton morne d’une annonce d’un décès familial pour parler de mes résultats en maths !!
Mais, je n’étais pas qualifiée de « crétine » car, à l’époque, ce qui me « sauvait » encore aux yeux de beaucoup étaient mes capacités en français. Maîtriser la langue française, jouer avec les mots, faire zéro faute à une dictée, lire tout le temps ont fait de moi une Littéraire.
Malheureusement, au fil des décennies, le féru de Lettres s’est vu coller des expressions diverses, variées et de plus en plus dévalorisantes.
Un autre souvenir dans ma vie de professeur, au début de ma carrière (2000) : Je suis très fière d’annoncer qu’un de mes élèves, en 3eme Technologique a eu une excellente note en dictée. Réponse de ma collègue de maths : « Bah ! L’orthographe, c’est la science des ânes !! »
Tout est dit de la vision des maths et du français dans la société française depuis très longtemps.
Il y a peu, il fallait le Graal du Bac S ! Aujourd’hui, vous retirez les maths dans le tronc commun dans les lycées généraux et c’est un tollé général !! Il faudrait remettre toutes les matières à leur juste place…
Combien d’enfants, et d’adultes, ont été catalogués de « nuls » car ils ne rentraient pas dans la norme scientifique imposée ?? Ils n’avaient pas les dispositions pour grimper dans l’arbre !! J’ai vu des Jeunes démotivés car depuis longtemps on leur faisait sentir qu’ils étaient « stupides ». J’ai vu également des parents en colère contre le système, abattus ou culpabilisant ; que n’avaient-ils pas réussi à mettre en place pour la réussite de leur enfant ?
Ce que le système oublie de mettre en valeur sont les capacités et compétences en dehors du schéma prescrit ! Nous commençons tout juste à prendre en compte la diversité des intelligences grâce aux neurosciences et la théorie de Gardner.
Tu n’es pas bon en sciences ? Et alors ? Ce n’est pas donné à tout le monde d’être doué de ses mains. C’est formidable de pouvoir faire de son corps un moyen d’expression. C’est magnifique d’être sensible au monde qui nous entoure…
Cela ouvre des perspectives, n’est-ce pas ?

Souvenir d’une pub !

Ceux de ma génération (!), ont eu la chance de voir passer sur nos téléviseurs une série de publicités pour un célèbre (à l’époque !!) fabricant de vaisselle. Guy D G. Dans une classe des années 40/50, un petit garçon est visiblement plus occupé par ses dessins que par les cours.
Le professeur ou le directeur, sévère, jette des phrases acerbes soit aux parents, soit au reste de la classe, de manière à bien montrer son mépris pour les activités du petit garçon. Il ne réussira pas dans la vie ! Surtout en dessinant des fourchettes et des plats !!
Se fait entendre alors en voix off : « Guy D, il est aujourd’hui le Premier ! »

La qualité graphique des esquisses démontre que l’enfant Guy a développé ses intelligences kinesthésique et visuelle ; sans doute au détriment des autres. Or, s’il est arrivé à créer une entreprise avec une belle renommée nationale, c’est qu’il a su également développer les six autres pour arriver à son but : prouver que son talent valait quelque chose !

Si vous voulez voir ou revoir cette publicité, c’est ici :
https://www.youtube.com/watch?v=ni8wu6ZqsQY&ab_channel=Stéphane

Neurosciences et coaching

Lors d’un coaching, je m’intéresse aux méthodes utilisées par le jeune pour apprendre et mémoriser ses cours. Prenons l’exemple de Léa*. Depuis la 4eme, ses notes ne cessent de baisser. En 6eme et 5eme, elle tournait autour de 14 de moyenne. En 3eme, elle a 11 au premier trimestre puis 10. Elle participe en classe et semble comprendre ce qui est dit en classe. Les profs n’arrêtent pas de dire qu’il y a un potentiel mais qu’il n’est pas exploité. Les enjeux de la fin de l’année scolaire sont un passage en 2de générale – ce que souhaite Léa – ou un redoublement ou une inscription dans un lycée professionnel. La jeune fille est de plus en plus démotivée. Ses parents, avec son accord, décident de prendre rendez-vous.

Question : « Peux-tu me décrire comment tu travailles à partir du moment où tu décides de le faire ? »
Réponse : « Je m’installe sur la table du salon. Je regarde mon agenda. Si je n’ai rien de noter, je ne fais rien. Si j’ai du travail pour demain, je fais les exercices. »
Question : « et si tu as une interrogation ou un DS ? »
Réponse : « Je relis mon cours. »
Question : « Tu es donc une lectrice. Combien de livres lis-tu par mois ?
La jeune fille se tait et me regarde totalement interloquée…Elle n’avait pas prévu cette question. Dans ce cas, Léa ne lit plus de livres depuis la 5eme. Le téléphone portable a remplacé cette activité et la méthode de « lire un cours pour apprendre » ne fonctionne plus depuis…Or, la jeune fille poursuit une habitude de travail, modèle de référence de ses ami(e)s, de l’école, de ses parents.
A ce moment, je propose de faire passer un test pour définir ses « intelligences majeures et mineures ». Il s’avère qu’elle a développé surtout un bouquet d’intelligences auditive, intrapersonnelle, visuelle et verbo-linguistique. Ensuite, et de façon décroissante, scientifique, interpersonnelle, naturaliste et kinesthésique.
A partir de là, je peux l’accompagner pour qu’elle découvre les outils les plus pertinents pour apprendre et mémoriser ses cours. Le coaching va aussi permettre d’équilibrer l’ensemble de ses 8 intelligences. De fait, Léa comprend que le salon n’est pas le meilleur endroit pour travailler ; trop de bruits, trop de passages. Elle lit ses cours mais en fabriquant des fiches visuellement attractives pour sa mémoire. Enfin, le plus important, elle apprend à développer l’ensemble de ses intelligences. Le fait de diversifier plus largement sa boîte à outils d’apprentissage lui a permis d’accroître son potentiel.
L’accompagnement du coaching lui a fait comprendre aussi qu’il fallait qu’elle s’impose une discipline de travail : Gestion des tâches, du temps, de l’espace. Gestion de son portable et aussi retrouver du temps pour la lecture-plaisir et une activité extra-scolaire.
Le 3eme trimestre montre que Léa a retrouvé l’envie de s’investir dans son travail et les notes remontent peu à peu. La jeune fille passe en 2de générale avec un petit 12 mais avec la conscience qu’elle a les bons outils dans sa tête pour encore progresser.
Le fait de comprendre comment fonctionne son cerveau l’a remotivée pour une belle rentrée.

Un monde parfait ?!

Bien sûr, que c’est un exemple idéal de réussite !! Nous savons aussi que les notes de Léa continueront à monter ou descendre en fonction d’autres facteurs que ses méthodes d’apprentissage. Tout est imaginable. Sa passion soudaine pour le tennis n’est-il pas en lien avec la présence de Paul, un copain de CM2 retrouvé dans cette activité ?
Son ressenti envers tel ou tel professeur peut expliquer sa motivation ou son désintérêt, le programme du bac de Français qui ne lui plaît pas, l’enthousiasme du prof d’économie…Tout cela joue aussi un rôle important dans l’évolution des notes ou de l’implication dans une matière chez un jeune.
N’empêche ! l’association réussie, équilibrée de ces intelligences est très enrichissante.
Les neurosciences, c’est à dire les sciences issues de la théorie de Gardner, sont décriées par certains, saluées par d’autres. Personnellement, je reste sur mes premières impressions enthousiastes tellement les retours sont positifs.
Ce que je trouve très gratifiant, c’est d’imaginer le visage d’un « Guy » qui comprend qu’il n’est pas stupide ou bizarre parce qu’il dessine dans la marge.
C’est de me souvenir du sourire de Noémie, Lisa, Erwan, Maxime (et tant d’autres) qui acceptaient l’idée d’utiliser différemment leur cerveau, qui se mettaient à secouer leurs méninges, à dépoussiérer leurs habitudes, pour ne plus craindre les DS ou examens, et retrouver ainsi une belle motivation pour se diriger vers des études supérieures qu’ils n’auraient pas envisagées quelques mois auparavant.
Au fait. Même le poisson rouge peut réussir à grimper dans l’arbre.
Savez-vous comment ?
Vos intelligences devraient vous aider à trouver la réponse.