Les larmes. C’est de l’eau, non ?!
La Jarre fendue
Un pauvre homme, tous les matins, allait remplir à la rivière deux grosses jarres qu’il portait aux deux bouts d’un bâton de fer posé au travers de sa nuque. Celle de droite était parfaite, joufflue, luisante, fière d’elle. Celle de gauche était fêlée. Elle perdait son eau en chemin, et donc elle s’estimait mauvaise. Elle en souffrait. Elle avait honte, tellement honte qu’un beau jour elle osa dire, tout en pleurs :
– Pardonne-moi, pauvre porteur.
– Te pardonner ? Répondit l’homme. Pourquoi donc ? Qu’as-tu fait de mal ?
– Allons, tu sais bien, chaque jour tu nous emplis d’eau à ras bord, tu t’échines, tu t’exténues à nous porter à la maison et, quand enfin nous arrivons, ma compagne a fait son devoir, elle a la conscience tranquille. Moi, non. Je sens qu’elle me méprise. J’aimerais être comme elle, mais vois, je suis vide à moitié, et tu dois m’en vouloir beaucoup.
– Oh non, au contraire, dit l’homme. Regarde le bord du chemin, de ton côté. Qu’est-ce que tu vois ?
– Des fleurs partout. Elles sont superbes.
– L’eau que tu perds, jarre fendue, les arrose tous les matins. Tous les matins elles te bénissent, et moi, je te bénis aussi, car chaque jour je peux offrir un beau bouquet à mon épouse. Tu fais la joie de ma maison. Regarde de l’autre côté. Ta compagne, certes est parfaite, mais que vois-tu ?
– Cailloux, poussière.
– Chacun fait selon sa nature. Ne change rien, ma bonne amie. Et ne regrette pas tes failles. Vois comme elles nourrissent la vie.
« Ne perds jamais espoir. Lorsque le soleil se couche, les étoiles apparaissent »
Walter Bagehot (journaliste anglais du 19e)